dimanche 28 décembre 2014

Journal d'Henriette 13-15 octobre 1903

13 octobre 1903

J’ai quitté mon lit ce matin à 10 heures et me suis distraite de mon mieux jusqu’à deux heures de l’après-midi. A ce moment, tous en chœur sont venus me raccompagner à Arnet. Quelle joie de retrouver ma famille en bonne santé après six grands jours d’absence ! Lorsqu’ils sont repartis je les ai vus s’en aller sans un soupir, sans un regret. Le soir, je me suis couchée de très bonne heure afin de réparer le temps perdu. J’ai reçu une carte de Géo. Elle m’a laissée entièrement froide.

14 octobre 1903

Journée très remplie ; le soir à 8 heures cruelle séparation ; départ de mon frère pour le régiment. En revenant de la gare, nous avons rencontré notre amie Mme Sales. Elle est venue nous accompagner avec son mari jusqu’à la campagne. J’ai passé en leur compagnie une heure charmante où je n’ai vécu que de souvenirs. Avant de nous séparer, nous avons dansé la troïka et chanté : Oiseaux légers. Ce petit concert m’aurait manqué.

15 octobre 1903

Journée très occupée. J’ai reçu une carte de Gaby signée : nuit du 12. Dieu ! Qu’elle est laide ! Elle représente un homme et une horrible femme qui s’embrassent. Il a écrit dessus :
Grand aveugle ô combien est de tout temps l’amour
Pourquoi ne peux-tu pas, cruel, durer toujours ?
Pauvre garçon, que t’es nigaud ! Pourquoi perdre ton temps à m’aimer ? ai-je le temps de m’occuper de ça ? D’ailleurs, c’est bien juré, je ne veux pas aimer. C’est trop bête, et j’aime trop ma liberté.
L’après-midi, j’ai fait une partie de croquet avec mes sœurs et une de leurs petites amies, Madeleine Nourrigat. Cela a évoqué en moi de bien tristes souvenirs en même temps que de douces pensées.

Oiseaux légers est une mélodie de Ferdinand Gumpert, compositeur allemand, publiée en 1900.
Pour avoir une idée de ce qu'est la troïka, allez voir ici.

Henriette a plusieurs soupirants, dirait-on...


mercredi 17 décembre 2014

Journal d'Henriette 11-12 octobre 1903

11 octobre 1903

Ce matin, je me suis levée à 7 heures moins ¼ pas trop fatiguée de la veille. Le matin j’ai entendu la messe à l’église des Pénitents à Montagnac. J’ai fait la connaissance de Mme C. elle m’a produit une très bonne impression. A 11 heures nous sommes retournées à la campagne pour dîner ; le repas a été presque triste car les messieurs étaient allés à Béziers voir une course de taureaux. L’après-midi nous sommes allées à Montagnac ; nous nous sommes baladées tout le temps sur l’esplanade en compagnie de Laure Villa et Jeanne Valat cousines de Louise. Le soir, j’ai eu le plaisir de revoir Louise Cabanis, charmante jeune fille que j’estime beaucoup. A 7 heures nous avons repris le chemin de la campagne. Notre soirée musicale fut de courte durée.

12 octobre 1903

Je puis dire que c’est une des plus agréables journées de ma vie ! J’ai fait plus ample connaissance avec Mme et M. C. Au premier abord, ce monsieur a l’air très froid ; il m’intimidait beaucoup. Maintenant que je le connais mieux, je le trouve charmant. Nous avons été toute la journée les meilleurs amis du monde. Ah ! L’aimable caractère ! Toujours un mot pour vous faire rire ! Le matin, Louise et moi sommes allées à Montagnac prendre sa cousine Louise Cabanis. De retour à Campaussel, nous avons pris part à la conversation générale. Pendant le dîner le papa C. qui ne me lâchait pas a voulu être placé auprès de moi, ce qui nous a permis de deviser ensemble tout le long du repas. Après dîner nous avons organisé une petite sauterie. Le papa C. a dit qu’il faisait grève si je ne dansais pas. Pour lui être agréable, j’ai cédé le piano à sa femme et ai dansé presque tout le temps avec lui. Ma foi, vu son âge, il est fort agile. C’est, après Louis, le meilleur danseur de la bande. A 5 heures, à son grand regret, il a dû retourner à Montagnac ; il a emmené sa femme et Mlle Louise Cabanis avec lui. Ne perdant pas de temps, nous nous sommes remis à jouer de plus belle. M. C. a déclamé avec beaucoup de goût quelques beaux morceaux ; entre autres : la mort de Jeanne d’Arc. On se serait cru à la Comédie Française ! Je leur ai servi : Si j’essayais. Cela a fort amusé mon indulgent auditoire. Puis nous nous sommes donné la réplique dans quelques morceaux classiques. Gaby nous a dit : la leçon d’amour c’est assez nigaud !
7 heures ½ sonnaient lorsque nous nous sommes mis à table. A 9 heures nous avons été dans le jardin pour jouer au loup et à l’agneau. Puis nous avons fait une grande partie de barres. Aux exercices du corps ont succédé ceux de l’esprit. A 2 heures du matin nous quittions la salle de jeux pour aller réveillonner. Ce réveillon a été tout ce que l’on peut trouver de plus divertissant ! La maman Lagarde riait aux éclats. Louise et moi avons fumé trois cigarettes chacune. C’était un feu croisé de bons mots, d’histoires drôles. La gaieté la plus franche régnait parmi nous. Jamais je n’avais vu Gaby faire le bouffon comme ce soir-là. Il était désopilant ! A 3 heures ½, nous avons vite mis une petite sauterie en train. Au moment d’aller nous coucher, Gaby a recommencé un

e scène de bouffonnerie qui le rendait presque grotesque. Quelle désillusion ! Moi qui le croyais si sérieux ! Ah ! On a bien raison de dire qu’il ne faut jamais se fier aux apparences ! Il était 4 heures ½ lorsque nous sommes rentrées dans notre dodo, vannées de fatigue mais gardant le souvenir de cette bonne journée. Je me souviendrai longtemps de cette nuit du 12 au 13 octobre !

Le poème que déclame M. C., La mort de Jeanne d'Arc, est un poème patriotique extrait des Messéniennes de Casimir Delavigne et publié en 1818. Casimir Delavigne (1793-1843), totalement oublié aujourd'hui, était encore au début du 20e siècle très présent dans les manuels scolaires.
Sur la photo, au centre, Henri le père d'Henriette. Derrière lui, la main sur son épaule, Louis, le frère d'Henriette.


mardi 16 décembre 2014

Journal d’Henriette 10 octobre 1903

10 octobre 1903
Je me suis levée avec mon amie à 6 heures ½. Nous avons été voir en compagnie de M. Lagarde, Gaby et Louis la demeure souterraine où vit un pauvre fou de Montagnac qui s’appelle Emile Valat et que l’on a surnommé Milou. De là, ces messieurs nous ont quittés pour aller à Montagnac. Quant à nous, nous sommes retournées à la campagne. Vers les 9 heures nous faisions de la musique à 4 mains quand tout à coup la mère de Louise nous a crié : venez voir si vous savez ce que c’est ; on dirait un automobile égaré. Nous ne distinguions rien tout d’abord, mais, à la fin, nous avons reconnu les deux personnages qui n’étaient autres que mon petit Henri Sales et son cousin Georges M. Nous sommes allées à leur rencontre afin de les remettre dans la bonne voie. Après les salutations d’usage mon petit Henri a voulu s’en retourner. Quant à Mr M. nous l’avons amené jusqu’à la campagne. Ces messieurs n’étant pas encore rentrés de leur promenade matinale, nous avons continué notre étude de piano. Je suis parvenue à apprendre l’air de Poupoule à Geo. Enfin, lorsque ces messieurs sont arrivés, après avoir joué quelques morceaux de musique, entre autres, notre fameuse polka à 4 mains, nous avons fait une partie de croquet. J’ai eu la chance d’avoir pour partenaires Geo et M. C. Mes adversaires étaient : Louise, Louis et Gaby. La partie très animée a été interrompue par le déjeuner. A table j’étais entre A. C. et E. J. le repas, ce moment si redouté par moi à cause des conversations qui s’y tiennent, s’est très bien passé. Après déjeuner, nous avons organisé une petite sauterie. J’ai tenu le piano tout le temps, au grand désespoir de ces messieurs. Tant pis pour eux. S’ils s’imaginent que je vais tomber en extase devant leurs quatre poils de moustache et leurs beaux yeux, ils se trompent bien. Le plus naturel d’eux tous est Géo. Aussi, est-ce vers lui que vont toutes mes sympathies. Mais j’ai promis à Louis de ne pas y céder. Je tiendrai parole. M. C. m’amuse beaucoup avec sa bouche en cul-de-poule et ses yeux au plafond. Je n’aime pas les personnes qui ne regardent jamais en face. Cela dénote un manque de franchise. Beaucoup de forme chez lui ; pas de fond du tout. Je plains celle qui sera sa femme ! Nous avons ensuite joué au nain jaune. J’ai eu la chance (chose extraordinaire chez moi) de gagner 4 sous. Il y en aura pour offrir un cigare au papa Lagarde. Les petits papiers ont terminé notre après-midi. Il s’en est rencontré quelques-uns de tordants.
Mais, avant dîner, nous avons vite mis une partie de cachette en train. Elle a été très animée, et j’ai vu le moment où mon pauvre petit cœur allait me jouer un vilain tour. Il était si gentil, si plein de délicates attentions pour moi ! Mais, je me suis domptée ; rien n’a paru. Nous nous sommes séparés comme deux bons camarades, mais rien de plus. Nous avons été tous en chœur l’accompagner jusqu’à mi-chemin de Montagnac, puis il est reparti à bicyclette pour Béziers.

De retour à la campagne nous avons fait de la musique. Le dîner a été très gai. Après dîner, nous avons rouvert le piano ; l’on a chanté, dansé, fait toutes sortes de petits jeux ; des petits papiers, etc.. Minuit nous a surpris jouant au nain jaune. A deux heures du matin, nous avons organisé une sauterie dans le jardin ; il était près de trois heures lorsque nous avons songé à regagner nos dodos respectifs. Ah ! L’exquise journée ! Puisse-t-elle avoir beaucoup de sœurs. Et dire que c’est la présence d’un seul être qui m’a donné tout ce bonheur !

Sur la photo : Henriette (assise) et Claire
Geo rentre à Béziers à vélo, qui est à 30 kilomètres environ… 

lundi 15 décembre 2014

Journal d’Henriette 8-9 octobre 1903

8 octobre 1903

Je suis partie ce matin à 9 heures pour aller passer quelques jours chez mon amie Louise [Lagarde], en compagnie de mon frère. Nous sommes arrivés chez elle à 10 heures. La journée a été charmante. Nous avons fait une partie de croquet où mon camp a été vainqueur. Après cela, une partie de cache-cache très animée. A 6 heures nous sommes allés tous en chœur accompagner un ami du frère [Gaby] de Louise. Le soir, après souper, nous avons joué au Nain jaune. J’ai été tout le temps en querelle avec Gaby. Quel insupportable ! Nous avons ensuite joué à l’homme noir. Je l’ai gardé une seule fois. A 11 heures du soir mon amie et moi avons fait bal dans le jardin. Toutes les danses que nous connaissions y sont passées ! Enfin à 11 heures ½ nous sommes allées nous coucher. Je n’ai pas langui une seule seconde pendant cette journée, pas un seul regret. Tout est bien fini.

9 octobre 1903

La matinée a été consacrée au dessin, à la musique et à la broderie. L’après-midi nous avons fait des petits jeux tout en travaillant à un ouvrage de broderie. Nous avons ensuite joué aux petits papiers. Il y en a eu quelques-uns de très drôles. Le soir, Mr C. que je n’avais vu depuis 3 ans est venu nous voir. Je l’ai trouvé très changé quant au physique. Il était il y a 3 ans tout ce que l’on peut rêver de plus joli en fait de garçon. Aujourd’hui, sa beauté est tout à fait ordinaire. Mais il n’en est pas moins bien gentil. Le soir nous avons fait une partie de nain-jaune sans tricher. Chose extraordinaire !!..  Pour clôturer notre soirée, nous avons organisé une petite sauterie. A demain.

Quelles belles journées ! Le jeu, la broderie, la musique et la danse occupent ces jeunes gens insouciants... Mais tout de même, un bal à 11 heures du soir en octobre !!!
Louise, l'amie d'Henriette, habite probablement au camp d'Aussel, sur la commune de Tressan, qui se trouve à 13 kilomètres de Lézignan-la-Cèbe. Comment Henriette et Louis se déplacent-ils ? Sans doute en voiture à cheval ou à vélo, puisqu'ils mettent une heure pour faire le trajet...

Sur la photo, prise devant leur maison, on reconnait assis le père et la mère d'Henriette. La jeune fille debout au milieu, c'est Marie, sa petite soeur. Je ne connais pas les autres personnages. L'apparence si austère de la mère d'Henriette m'impressionne : tout en noir... Si elle était en deuil, je ne saurais dire de qui. Ses parents étaient morts en 1880 et 1890. La photo peut-être datée, comme la précédente, vers 1910.

dimanche 14 décembre 2014

Journal d’Henriette 7 octobre 1903

7 octobre 1903

Rien de bien important dans le courant de la journée. J’ai partagé mon temps entre les leçons données à ma petite sœur, et l’ouvrage manuel. Mais, ce soir, après dîner, maman et mes sœurs étant couchées, j’ai abandonné ma lecture, et j’ai eu avec mon frère une conversation qui tout en me faisant bien mal au cœur a rétabli le calme dans mon pauvre esprit. J’avais besoin d’une personne sensée qui m’éclaire et c’est toi, mon frère bien-aimé qui as eu le courage de me faire souffrir afin de me guérir. Et bien, OUI je ferai ce que tu me dis. J’oublie tout. Je veux croire que je sors d’un rêve. Adieu douces heures d’illusion, adieu ! Et toi, Cupidon, petit dieu malin, ne viens plus frapper à la porte de mon cœur ; désormais, il sera de marbre et rien ne sera capable de l’attendrir. Dès aujourd’hui, il est fermé à toute affection terrestre. Je ne veux plus vivre que pour mon Dieu et ma famille. La bonne camaraderie qui existait entre Géo et moi étant sur le point de se transformer en affection, je veux extirper le mal de sa racine. Je veux reprendre la tâche que je m’étais imposée au sortir du couvent. Je veux être l’ange du sacrifice et je le serai jusqu’au bout. Rien ne sera capable d’ébranler ma résolution. O mon Dieu ! O Marie ma mère ! Je vous donne mon cœur. Gardez-le moi toujours pur. Pardonnez-moi ces quelques heures où j’ai cédé aux charmes d’une amitié partagée, et aidez-moi à persévérer dans mes résolutions.

On en apprend, des choses !! Henriette est amoureuse d'un certain Géo et en parle à coeur ouvert avec son grand frère. On ne sait pourquoi elle doit renoncer à ses tendres sentiments mais on perçoit très nettement le poids de la religion : Henriette a été éduquée au couvent des Ursulines de Pézenas et souhaite vouer son existence à Dieu et à sa famille. Son frère l'y encourage...

La photographie que je vous propose aujourd'hui date au plus tard de 1911. On y voit de gauche à droite :
  • Mme Guibert (à confirmer) la belle-mère de Louis le frère d'Henriette, 
  • Henriette (debout), 
  • Henri (le fils aîné de Louis, né en 1907), 
  • Henri le père d'Henriette, Louis, Claire et Marie (assis avec la barbe), 
  • Louis (le fils de Louis, né en 1909), 
  • Louise la mère d'Henriette, Louis, Claire et Marie, 
  • Marie la soeur d'Henriette (debout) 
  • et enfin Louis, le frère d'Henriette
Claire n'est pas sur la photo...

A suivre...!

Journal d’Henriette 4-6 octobre 1903

Henriette, c'était ma grand-mère. Elle aurait 129 ans cette année. Elle est née en 1885 dans la campagne languedocienne, du côté de Pézenas, dans une grande maison entourée de vignes. Elle avait un frère, Louis, et deux soeurs, Marie et Claire. Elle avait un regard têtu et volontaire, sans demi-mesures. Comme le fut sa vie.
Elle vivait avec nous. Tous les soirs de mon enfance, j'allais jouer avec elle, dans sa chambre, son univers à elle, bien distinct du reste de la maison. J'avais neuf ans et demi quand elle est morte. Je ne me souviens pas d'en avoir vraiment souffert, mais il paraît que les enfants sont comme ça. Ce que je sais, c'est qu'elle fait partie de mon imaginaire quotidien, de mes rêves, de mes pensées, de mon histoire. Je sais aussi qu'elle m'aimait plus que tout, parce que j'étais la petite fille qu'elle n'avait pas eue.
Le jour de ses dis-huit ans, Henriette décide de commencer un journal intime. On est en octobre 1903. Sa soeur Claire a alors 13 ans, Marie en a 15 et Louis 22. Ses parents, Henri et Louise ont 53 et 52 ans.
A la mort d'Henriette, en décembre 1974, son fils (mon père) découvre ce journal dont il ignorait l'existence. Il l'a depuis ce jour conservé précieusement et me l'a transmis comme une relique.
Le voici, jour après jour jusqu'aux dernières lignes écrites le 13 mai 1907 et émaillé de commentaires qui permettront de découvrir cette jeune femme d'un autre siècle.

4 octobre 1903

Aujourd’hui, 4 octobre, j’ai 18 ans ! Or à partir d’aujourd’hui, je veux, chaque jour, noter les impressions et les petits incidents de la journée.
Ce jour du 4 octobre s’accorde en tout avec l’année de ma naissance. Il tombe un dimanche et en même temps fête de Notre Dame du Saint-Rosaire. J’ai commencé ma journée par une messe bien entendue et une fervente communion. Le matin, la 1re caresse reçue a été un baiser de ma bonne mère. J’ai passé une journée charmante en compagnie de personnes très aimables. Le soir quand je me suis couchée la seule chose que j’ai demandée au Seigneur a été de me laisser passer toute ma 18e année comme j’en avais passé le 1er jour.


5 octobre 1903

Aujourd’hui, j’ai eu le plaisir de recevoir une lettre de ma cousine Christine dans laquelle elle ne me donnait que de bonnes nouvelles. Mais, comme il n’y a pas de bonheur parfait en ce monde j’ai eu le chagrin de voir partir une de mes amies, Mlle Lagarde, qui était venue passer quelques jours chez mes parents.

6 octobre 1903

Ce que c’est que les choses de ce monde !… Cela marche comme les affaires de la ville. Hier, j’avais pris la résolution de faire travailler ma petite Claire tous les jours, sauf le jeudi, et dès le 1er jour, j’ai été la 1re à accorder la permission de l’après-midi. Voici en 2 mots comment la chose s’est passée. Depuis plus de 15 jours, mon amie intime, Mme Sales a sa cousine et son cousin Marme chez elle. Hier soir, M. Marme était venu nous faire ses adieux en nous disant qu’il partait le lendemain à 2 h. Le matin, dès mon lever, je me suis occupée de ma petite élève qui m’a satisfaite sur toute la ligne. Mais, l’après-midi, Henri et Jeanne Sales étant venus à la maison pour demander à mes parents l’autorisation de nous laisser descendre chez eux, avant que maman ait accordé la permission, j’avais déjà dit oui. Papa et maman ne s’y sont pas refusés et j’ai encore eu le plaisir de passer quelques heures charmantes. Je ne sais pourquoi, mais j’aime tout autant la compagnie de mon amie Mme Sales, que celles de jeunes filles de mon âge. Probablement, parce que nos cœurs savent se comprendre. D’ailleurs, elle est si gentille qu’on l’aime malgré soi. De retour à la maison, j’ai dit mon chapelet avec ma petite sœur et enfin j’ai terminé ma journée par la lecture d’un ouvrage de Raoul de Navery intitulé Le martyre d’un père. J’étais bien décidée à me coucher à 9 h. et cependant, il va être minuit et j’écris encore. Enfin, cela n’a pas d’importance. Je vais vite faire une fervente prière et me dépêcher à entrer dans mon petit dodo où j’espère faire de beaux rêves.

Que dire de ces premières lignes ? Henriette est une jeune fille du 19e siècle, confite en dévotion comme toutes les jeunes filles de son époque... Elle est sereine et satisfaite de son sort, entourée par une famille bienveillante.
Le roman que lit Henriette, écrit par Raoul de Navery en 1881 - pseudonyme d'Eugénie Caroline Saffray (1829-1885) - est empreint d'un catholicisme ardent. J'ai encore dans des recoins de la bibliothèque familiale des ouvrages de ce style, devenus illisibles aujourd'hui. 

A suivre...