mercredi 25 novembre 2015

Journal d'Henriette 1er - 27 janvier 1904

1er janvier 1904

Quelle triste journée ! Je n’ai pas reçu une seule carte ! Je suis restée à la maison toute seule, toute la journée. Espérons que demain me sera plus favorable.

2 janvier 1904

Géo a été le premier à m’offrir ses vœux de bonheur. Le soir, nous avons eu la visite de Mme Sales et ses enfants et de Mme Marme. Mes engelures me font souffrir comme une damnée. Mme Marme m’a conseillé de prendre des fumigations de buis. Je vais essayer, pour voir si je pourrai calmer mes souffrances.

3 janvier 1904

Le remède est radical ! Je ne souffre plus ! J’ai pu aller à la messe. Lorsque j’ai vu Mme Marme devant moi, cela m’a rappelé de bien doux en même temps que de bien tristes souvenirs ! Je revoyais Géo, ainsi que mes chers cousins Dessalle. Je revoyais Henri auprès de moi ! Hélas ! Je ne le verrai peut-être plus !.... La famille L. [Lagarde] est venue nous voir. Gaby a une tête de « bleu » réussie ! J’ai dîné chez Maria puis nous sommes allées chez Mme Sales où nous nous sommes amusées jusqu’à deux heures du matin. Il ne manquait que Géo. Mais quoi qu’absent, il n’a pas été oublié. Et en chœur nous lui avons envoyé une jolie carte postale. Et mes amies avaient leur cavalier attitré. Il n’y avait que moi qui étais seule, toujours seule !

4 janvier 1904

Le berger m’a ramené ma petite Follette. Je l’ai embrassée avec amour car c’est sur ma ménagerie que je rapporte la tendresse que je ne donne pas à ma famille et à mes amis. J’ai passé mon après-midi à faire de la musique avec mon frère chéri. A huit heures, j’ai été l’accompagner à la gare. J’en suis remontée toute triste d’avoir vu partir mon cher Louis.

5 janvier 1904

Toutes mes amies de Lézignan sont venues me voir ; nous avons été ensemble sur le causse visiter la grotte. Là, j’ai songé à mon frère chéri, car lorsque je vins dans cette grotte, pour la première fois, j’étais avec lui. Nous y avons tué un lièvre qui y était prisonnier. J’avais huit ans. Que j’étais heureuse alors ! Nous nous sommes arrêtées à l’usine pour voir faire l’autopsie d’un cheval, ce qui m’a fort intéressée. Mes amies sont reparties à six heures.

6 janvier 1904

J’ai dessiné des pochettes fort jolies. Je suis contente de mon travail.

7 janvier 1904

Ma petite élève travaille bien. Avant peu, elle saura aussi long que moi.

8 janvier 1904

Rien de nouveau sous le soleil.

9 janvier 1904

Encore des nuages à l’horizon ! J’ai déversé une partie de mes peines dans le cœur de Mme Sales. Mon cœur était si gros !

10 janvier 1904

J’ai entendu la messe avec un redoublement de ferveur pour que le bon Dieu ne nous abandonne pas. J’ai passé une matinée délicieuse dans le bois en compagnie de ma chevrette. L’après-midi, promenade sentimentale au pont de Merdary.

11 janvier 1904

Après-midi passé au couvent. Je ne puis dire la joie, le bonheur intime que je ressens lorsque je rentre dans ce cher asile de paix ! Qui sait si un jour je n’y entrerai pas définitivement ? Bonnes mères, comme je vous aime ! Mon frère chéri m’a écrit une très jolie lettre.

12 janvier 1904

Rien de nouveau.

13 janvier 1904

Louis m’a envoyé une carte représentant un paysage ravissant. Il me dit avoir reçu une jolie et surtout gentille carte d’Antonin C.

14 janvier 1904

Rien d’important. Même vie calme et monotone toute remplie par le travail.

20 janvier 1904

Journée passée à Alignan à l’occasion de la fête de saint Sébastien. Nous avons fait la procession autour du village et dans les rues principales, avec la statue de saint Sébastien portée en triomphe par quatre jeunes gens, le suisse et le curé en tête. Une belle messe a été chantée par une trentaine d’hommes. Monsieur et Madame Boyer se sont distingués par leur amabilité. Mon amie, Mme Sales, qui se trouvait de la partie n’a pas peu contribué à l’agrément de la journée. Parmi les invités, j’ai eu le plaisir de retrouver une compagne du couvent. Nous nous sommes remémoré ces agréables journées passées ensemble. Comme j’étais heureuse alors !...

21 janvier 1904

Nous ne sommes rentrées d’Alignan que ce matin. J’ai couché avec Mme Sales. Pendant deux heures, nous avons parlé de Géo. Pendant mon absence, Papa a donné mes tourterelles. Pauvres oiseaux ! Je les aimais tant ! C’est Mimi [Marie Jonnet] qui me les avait données, un jour où G. était ici. Ce jour-là, il avait été si aimable pour moi qu’un moment, j’ai cru… hélas ! Aussi, aujourd’hui que je sais pourquoi il n’a pas parlé, toutes mes illusions sont finies. Il ne me reste plus de lui qu’un vague souvenir que je finirai par chasser de ma pensée. J’en ai la certitude. Que mes tourterelles emportent sur leurs ailes jusqu’à la moindre trace de son souvenir. J’ai soif de vrai repos. Aussi, si j’aime un jour, je ne veux le faire qu’à bon escient. O mon Dieu ! Faites-moi la grâce de trouver cet être idéal, avec qui je ne ferai qu’un corps et qu’une âme. Guidez-moi. Je m’abandonne à vous !

23 janvier 1904

J’ai commencé aujourd’hui un mouchoir tricolore. Je ne puis dire l’émotion que je ressens en voyant ce petit drapeau aux couleurs françaises brodées de mes mains ! Pauvre France ! Si tu savais combien je t’aime ! Pour toi, je sacrifierai tout. N’es-tu pas ma mère ? Oui, pauvre France !!.. Si tes vaillants défenseurs de jadis sortaient de leur tombeau, que penseraient-ils en te voyant si malheureuse ? Ils comprendraient ce qui t’arrive. France, tu ne veux plus du Dieu de tes pères ? C’est bien, souviens-toi que ce n’est que par lui et en lui que tu seras heureuse. Toi que la Sainte Vierge aimait tant, tu la renies ?... Reviens à Dieu si tu veux reconquérir ta gloire perdue !

24 janvier 1904

Quelle journée ! Grand Dieu ! Ce matin, j’avais entendu une bonne messe ; j’étais heureuse ! Mais, l’après-midi, la musique des vétérans est venue jouer à Lézignan. A cause de Mme Pons, nous n’avons écouté qu’un seul morceau, moi qui aime tant la musique, j’ai été obligée de m’en priver pour les autres. A cause de Maria, je n’ai pu assister au chapelet. A cause d’elle j’ai été grondée par Maman. Pourquoi ??... Je n’en sais rien. Jamais plus de ma vie je ne veux être le jouet des autres. Je veux agir à ma guise. Au moins, si je suis grondée, je saurai pourquoi !

25 janvier 1904

Journée splendide. M. Coste, régisseur du marquis de Graves, est venu prendre 7500 kilos d’engrais. Il faudrait en expédier autant tous les jours !

26 janvier 1904

Rien de nouveau. Tous mes minets sont malades.

27 janvier 1904

Je ne reçois plus rien de mes amies. Ce n’est pas bien gentil de leur part.

Sur la photo : Gabriel Lagarde. Il y a dans les archives familiales un album de photographies provenant de la maison Arquinet. Mon père a eu la bonne idée de questionner sa mère, Henriette, sur les noms des personnes représentées... Voici donc Gaby !