vendredi 30 janvier 2015

Journal d'Henriette 5-29 novembre 1903

5 novembre 1903 
On est venus ce matin prendre ma chèvre Bichette. C’est un peu de mon heureuse enfance qui s’en va !... Bichette m’avait été donnée par ma cousine Mme Ponsonailhes, il y a dix ans de cela. Je la donne aujourd’hui aux Boyer, des gens pour lesquels je n’ai aucune estime. Je garde pour moi sa fille, ma gentille Follette.

19 novembre 1903

Du 5 à aujourd’hui, je suis restée à Lézignan chez Mme Boyer. J’y ai langui comme une perdue.

20 novembre 1903

Journée charmante passée en famille. Bonnes nouvelles de mon frère. Première expédition d’engrais.

21 novembre 1903

Grande étourdie que je suis ! J’ai laissé la belle fête de la Présentation sans m’en apercevoir. Journée mémorable en ce sens que, pour la première fois, j’ai été demandée en mariage, et refusée tout naturellement. Est-ce qu’on va proposer des choses pareilles à une gosse ? Moi qui ai le mariage en horreur, ce ne sera pas à mon âge, lorsque je commence à peine à vivre, que j’irai m’enchaîner ? Fi donc !!... Pas de bêtises pareilles d’au moins dix ans ! Mon premier prétendant se nomme Paul G. du gentil village de B. C’est un ami de Louis. Il m’a vu deux fois et il est fou de moi. Mais, il est donc en amadou ce monsieur pour prendre feu aussi facilement ! Pauvre cher ! Il s’est bien fourvoyé ! Il croyait faire la conquête de ce petit cœur qui ne bat pour personne, si ce n’est pour son Dieu, sa famille et sa patrie !...

22 novembre 1903

Journée commencée par la sainte messe. L’après-midi, course de vitesse avec mes sœurs et visite à la famille Sales.

23 novembre 1903

Journée triste. Pas de nouvelles de mon frère et de mes amies. Inquiétudes sérieuses de tous côtés. Je remets tout entre les mains de Dieu et de la Sainte Vierge.

24 novembre 1903

Encore rien reçu. Que font-ils tous ?

25 novembre 1903

Journée charmante passée avec Mme Sales.

26 novembre 1903

Enfin ! J’ai reçu une carte de Louis et de Geo. C’est plus que je n’en désirais ! Gabriel a envoyé de très jolies cartes à mes sœurs, et point à moi. Cela m’est parfaitement égal ! J’ai été à Montagnac avec petite Mère payer les contributions. Le soir, papa m’a donné 10 francs à partager avec mes sœurs. Quel bonheur ! Encore 20 sous à économiser et je pourrai me payer mon abonnement à L’Ouvrier, ce qui est mon grand désir !

27 novembre 1903

J’ai passé mon après-midi chez Marie pour apprendre à faire la dentelle Renaissance. Nous avons cueilli au château les premières violettes de la saison. Je les ai toutes données à Maman, elle les aime toutes !

28 novembre 1903

Même occupation. Ce genre de travail est très facile à faire. Le soir, en arrivant à la maison, j’ai trouvé une très jolie carte de mon frère. Nous étions tous plus qu’heureux, lorsqu’une idée originale est passée dans la tête de ma pauvre mère. Elle nous a quittés à table et est allée se coucher en nous demandant une tasse de café. Nous avons continué notre dîner moitié riant, moitié pleurant. Je lui ai monté le café demandé, mais j’ai été reçue comme un chien au milieu d’un jeu de quilles ! Quelle triste soirée !... Il me tarde d’être à demain pour savoir si cela durera. Hélas ! Je ne le crains que trop !

29 novembre 1903


Ce que je craignais s’est en partie réalisé. Le matin, à mon lever j’ai voulu aller l’embrasser, elle m’a repoussée. Nous sommes allées à la première messe dite par un vénérable prêtre nommé M. Paillasse. A la sortie de la messe, j’ai rencontré mon frère. Après l’avoir embrassé et lui avoir fait accepter la moitié de mon pain bénit, nous sommes montés à la campagne. De toute la matinée, maman ne m’a pas adressé la parole. L’après-midi, nous avons été à Lézignan. Nous y sommes retournées à 8 heures pour accompagner mon frère. De la gare, nous avons été chez Maria, puis toutes en chœur nous sommes descendues chez Mme Sales où nous avons passé une soirée charmante. J’ai pris ma première leçon de valse avec M. Sales. Et en nous amusant, nous avons fini par dérider maman. Une fois le premier pas fait, le reste a été facile. Je vais me coucher le cœur léger, heureuse d’avoir vu mon frère, d’être réconciliée avec maman et d’avoir passé une aussi bonne journée.

vendredi 23 janvier 2015

Journal d'Henriette 30 octobre - 4 novembre 1903

30 octobre 1903

C’est la belle fête de l’adoration. J’ai commencé ma journée par une fervente communion. J’ai longuement prié pour tous les miens. J’ai supplié le bon Dieu de me faire connaître ma vocation. Après la messe, Mme Sales et moi avons été offrir une belle gerbe au Saint-Sacrement, puis nous avons fait de la musique aux vêpres, l’abbé Guiraudin nous a fait un beau sermon dont voici un petit résumé.
Pour qu’une église soit réellement consacrée, il ne suffit pas seulement de l’asperger avec de l’eau bénite et de l’oindre avec de saintes huiles mais il faut que la Sainte victime vienne la consacrer de son sang. Nos cœurs doivent être des tabernacles vivants où nous devons recevoir Notre Seigneur. Or, pour nous donner un exemple du désir que nous devons avoir, ouvrons l’Evangile et regardons la parabole de Zachée. Zachée était le chef des publicains, c’est-à-dire qu’il était chargé de prélever l’impôt. Or, la Judée était grande et Zachée très occupé par cette charge. Les publicains n’étaient guère aimés car le peuple leur reprochait de prélever pour leur compte une large part sur les impôts. Zachée avait entendu parler des miracles de Jésus et voulait le voir. Oui, à tout prix, il voulait voir celui que l’on nommait le grand thaumaturge. Un jour, le bruit court dans la ville que Jésus approche de Jéricho escorté par une foule de gens. A cette nouvelle, Zachée sent croître son désir. Il abandonne ses affaires. Franchir les murs de la ville et suivre la foule. Mais par malheur, Zachée est petit ; comment pourrait-il voir Jésus et lui parler ? Son grand désir le rend ingénieux. Il court en avant, grimpe sur un arbre et se fait un observatoire d’une branche. De là, il pourra voir l’objet de son désir. Dans la foule se trouvent des personnages qui se gaussent de Zachée. Mais lui semble ne rien remarquer. Il voit celui qu’il voulait voir, cela lui suffit. Dieu qui voit ce qui se passe dans le cœur des hommes connaissait le désir de Zachée. C’est pour lui qu’il est venu en cette ville. Aussi, Jésus lui dit-il avec Sainte Familiarité : Zachée, descendez car aujourd’hui je veux loger chez vous. Dieu aime qu’on le prie simplement. Il aime à être familier avec l’homme. C’est ainsi qu’après sa résurrection, il parla à la pécheresse de Béthanie. Marie-Madeleine pleurait de ne pas retrouver Jésus. Alors Jésus lui dit : Marie. Et elle répondit : Mon Maître et mon Seigneur. Après la Sainte Vierge, Marie-Madeleine est la personne qui a lu plus aimé Notre Seigneur. Mais qu’avait fait Zachée ? Il était descendu du sycomore et arrivé chez lui, il se jette aux pieds de Jésus et lui dit : Seigneur, je donne tous mes biens aux pauvres et si j’ai fait tort à quelqu’un en quoi que ce soit, je suis prêt à rendre quatre fois autant. Quelle équité dans sa justice ! Quelle largesse dans sa charité ! Alors Jésus se tournant vers Zachée, lui dit : Aujourd’hui cette maison a reçu le salut. Celui-ci est aussi un fils d’Israël, car le fils de l’homme est venu pour racheter et sauver ceux qui étaient perdus. L’amitié vraie et sincère est un don divin. Et si l’amitié d’un homme nous est si précieuse, que doit-il en être de celle d’un Dieu ! O Jésus ! Faudra-t-il attendre que vous prononciez votre anathème contre nous pour vous aimer ! Non, non, ne le permettez pas. Faites que tous les jours nous vous aimions de plus en plus afin d’avoir le bonheur de vous posséder pendant toute l’éternité. Ainsi soit-il.
M. Guiraudin est le curé de la paroisse Sainte-Ursule à Pézenas. Après ce bon sermon, nous sommes allées chez Madame Sales où nous nous sommes amusées jusqu’à 6 heures. Enfin, à 10 heures du soir, je me suis couchée, heureuse d’avoir passé une aussi bonne journée.

31 octobre 1903


Matinée tranquille. L’après-midi avec mes sœurs, nous avons aidé à monter le fourrage dans le grenier. De une heure à cinq heures, nous nous sommes roulées sur le foin. Avec nos cheveux au vent et notre fourche à la main, dans ce sombre grenier on aurait pu nous prendre pour trois diablesses ! J’ai reçu une carte de Geo. Après dîner nous avons eu la visite de Mme Sales. 

1er novembre

Journée très recueillie. Le matin, fervente communion ; le soir, visite au cimetière. J’ai longuement prié sur la tombe de nos chers morts. Mme Sales a passé toute la journée avec nous. La confection des couronnes et un peu de musique ont pris tout notre temps. A cinq heures, promenade sentimentale au pont de Merdary.

2 novembre

Journée passée dans la tristesse à cause de la fête des morts.

3 novembre

Cette journée a été bien remplie. Visite de Maria et de sa mère. Longue promenade sur le causse.

4 novembre

Rien de nouveau sous le soleil.



mercredi 14 janvier 2015

Journal d'Henriette 23-28 octobre 1903

23 octobre 1903

Journée tranquille ; calme plat.

24 octobre 1903

Rien d’important.

25 octobre 1903

Journée commencée par une messe bien entendue. Après-midi très agréable passée à la campagne en compagnie de Mme Sales et de la famille Lagarde. Depuis quelques jours j’attends en vain des nouvelles de G. [Georges M., dit Geo] Je n’ai encore rien reçu. J’ose espérer que ce sera pour demain. Le soir, mon frère est venu en permission. Maman m’a fait une scène terrible. Je ne sais seulement pas pourquoi. Serait-ce la présence de son fils qui la rendrait si irascible ? Dans ce cas, malgré tout le bonheur que me donne la présence de Louis, mieux vaut qu’il reste à Lodève.

26 octobre 1903

Il a plu toute la journée. Orage terrible. Au point de vue moral, orage encore plus terrible ; tout est à l’unisson. Ma pauvre mère m’a fait une mine !... Dois-je aller à son devant ? Je me le demande, car je n’ai rien à me reprocher. Attendons. Enfin ! J’ai reçu une carte de G. en même temps qu’une de mon cher cousin Henri. Elles ont été un doux réconfort pour mon cœur. Dans le monde, je n’ai encore pu trouver un être digne de mon affection. Je veux la donner toute à ma famille et là… on me repousse. O Dieu ! Vous au moins ne repoussez pas ceux qui vous aiment !

27 octobre 1903

Ce matin, à mon lever, j’ai vu l’Hérault par la plaine ; à 6 heures du matin, comme Papa conduisait les chevaux à l’abreuvoir, il a entendu ces cris : au secours ! A nous ! Nous nous noyons ! Une barque ! C’étaient deux cheminots qui s’étaient laissés surprendre par l’inondation. Papa est allé au moulin des Prés demander une barque, et aidé du meunier est parvenu à sauver les deux pauvres malheureux. Ils étaient dans l’eau depuis 10 heures. Pauvres gens ! Encore un peu et c’en était fait d’eux. Ils avaient déjà de l’eau jusqu’au cou. Toute la journée il avait plu. Moralement temps toujours à l’orage.

28 octobre 1903

J’ai fait le premier pas vers ma mère. Nous nous sommes embrassées. Il pleut toujours. J’ai été faire une longue au Saint Sacrement. J’en ai profité pour me confesser. Quelle joie de se trouver avec une conscience tranquille auprès de ce Dieu si bon ! Quand on a goûté à de telles douceurs, que les joies du monde paraissent insipides !

Je ne sais pas si je vais réussir à identifier ce Georges M., dit Geo ou Géo, dont Henriette semble avoir le béguin... 
La mère d'Henriette semble avoir des sautes d'humeur assez désagréables...
Le moulin des Prés se trouve sur l'Hérault, entre Lézignan-la-Cèbe et Pézenas.
La carte postale présentée aujourd'hui a été prise par mon grand-père Achille Gascard, futur mari d'Henriette, mais qu'elle ne connaît pas encore en 1903...


dimanche 11 janvier 2015

Journal d'Henriette 20-22 octobre 1903

20 octobre 1903

Toute la matinée je me suis occupée des travaux du ménage. L’après-midi, j’ai eu la visite de Louise Lagarde, Gaby, Louise Cabanis et Antonin C. Mme Sales est venue se joindre à nous. Nous avons fait de la photographie. C’est A. qui remplissait les fonctions de photographe. Cette fois au moins, il remplissait vraiment son rôle ; il le faisait « à la pause ».
J’ai effeuillé une pâquerette offerte par Gaby ; elle m’a répondu : tendrement. Il en a effeuillé une à son tour ; elle lui a répondu : à la folie. Je ne sais si cette fleurette a été franche en ce qui le concerne, mais quant à mes sentiments personnels elle s’est bien trompée !
La danse et les petits jeux ont achevé de nous divertir.
Le soir, lorsqu’ils sont partis j’ai pu me dire : encore une agréable journée de passée. Et maintenant, à quand ? Le soir, nous avons gardé Mme Sales pour souper. A 10 heures, nous avons été la ramener chez elle.

21 octobre 1903

Matinée occupée. Après-midi très agréable passée au couvent. Quelles heures agréables j’ai passées dans ce cher asile ! Quel calme s’est fait dans mon pauvre cœur ! J’avais besoin de quelques mots de mes bonnes mères pour me le remettre en place. Ah ! Si je pouvais y retourner, que je serais heureuse ! Qui sait si un jour je ne serai pas appelée à y passer ma vie ? Oh ! Mon Dieu ! Que votre Sainte volonté soit faite !

22 octobre 1903

Journée occupée physiquement et moralement. Mon Dieu je vous en prie, ne nous laissez pas sombrer ; venez à notre secours ; nous n’avons plus d’espoir qu’en vous ! Faites de moi ce que vous voudrez, mais bénissez mes chers parents, rendez-les heureux ! Cœur de Jésus, ô Marie, ma mère, vous êtes mon seul espoir ; c’est en vous que je place toute ma confiance ; je sais qu’avec vous je ne risque rien. Père éternel, je vous demande, au nom de Jésus-Christ  votre divin Fils, et de Marie son auguste mère la grâce de nous sortir d’embarras sans avoir besoin de vendre notre chère campagne. Pensez au déchirement de votre cœur lorsque vous avez été obligés de fuir en Egypte ! Alors, vous comprendrez ce que nous souffrons. Encore une fois, mon Dieu, ne nous abandonnez pas ! Pitié !


Henriette explique peu les causes de ses tourments... On voit que la vente éventuelle de la campagne d'Arnet, sa maison, lui fend le coeur... Ses parents sont viticulteurs et ont probablement été victimes du mildiou mais ce ne sont que des conjectures. 
Sur la photo : Henriette (en noir) et Claire


dimanche 4 janvier 2015

Journal d'Henriette 16-19 octobre 1903

16 octobre 1903

Mon frère chéri m’a envoyé une ravissante carte ne nous portant que de bonnes nouvelles. J’en ai également reçu de Mimi, Loulou. A.C. m’en a envoyé également. L’une représente l’amour vainqueur. Il a écrit dessus : « En souvenir des quelques instants inoubliables mais malheureusement trop courts passés auprès de vous » Myosotis. Quel aplomb ! Oui, mon vieux je vais passer mon temps à ne pas t’oublier, lorsque je sais que tu en aimes une autre ? Que nenni ! Avec moi, ou tout, ou rien. Je n’aime pas les cœurs d’artichaut.
Journée très occupée. Je suis satisfaite de ma petite élève ; si cela dure, elle fera de réels progrès. Ce soir, tous en chœur nous avons récité un chapelet pour obtenir du bon Dieu par l’intercession de la Sainte Vierge une grande grâce. J’aime à penser qu’elle ne nous la refusera pas. Oh ! Mon Dieu ! Je vous en prie, bénissez mes parents ; affligez-moi si vous le voulez mais eux, épargnez-les. Ils sont si bons ! Ne les abandonnez pas ! Veillez sur eux. Veillez sur nous tous ; secourez-nous, car sans vous nous ne pouvons rien !

17 octobre 1903

Journée laborieuse ; grâce en partie obtenue.

18 octobre 1903

Journée très occupée. Soirée charmante passée en famille.

19 octobre 1903


J’ai commencé ma journée par une messe bien entendue. J’ai reçu une carte de : myosotis, de Géo et de Christ. Après-midi délicieuse passée à la campagne en compagnie de Mme Sales et de la famille Boyer. Le soir, lecture instructive sur la fabrication du pain.

Sur la photo, Louis Arquinet, le frère d'Henriette