dimanche 14 décembre 2014

Journal d’Henriette 4-6 octobre 1903

Henriette, c'était ma grand-mère. Elle aurait 129 ans cette année. Elle est née en 1885 dans la campagne languedocienne, du côté de Pézenas, dans une grande maison entourée de vignes. Elle avait un frère, Louis, et deux soeurs, Marie et Claire. Elle avait un regard têtu et volontaire, sans demi-mesures. Comme le fut sa vie.
Elle vivait avec nous. Tous les soirs de mon enfance, j'allais jouer avec elle, dans sa chambre, son univers à elle, bien distinct du reste de la maison. J'avais neuf ans et demi quand elle est morte. Je ne me souviens pas d'en avoir vraiment souffert, mais il paraît que les enfants sont comme ça. Ce que je sais, c'est qu'elle fait partie de mon imaginaire quotidien, de mes rêves, de mes pensées, de mon histoire. Je sais aussi qu'elle m'aimait plus que tout, parce que j'étais la petite fille qu'elle n'avait pas eue.
Le jour de ses dis-huit ans, Henriette décide de commencer un journal intime. On est en octobre 1903. Sa soeur Claire a alors 13 ans, Marie en a 15 et Louis 22. Ses parents, Henri et Louise ont 53 et 52 ans.
A la mort d'Henriette, en décembre 1974, son fils (mon père) découvre ce journal dont il ignorait l'existence. Il l'a depuis ce jour conservé précieusement et me l'a transmis comme une relique.
Le voici, jour après jour jusqu'aux dernières lignes écrites le 13 mai 1907 et émaillé de commentaires qui permettront de découvrir cette jeune femme d'un autre siècle.

4 octobre 1903

Aujourd’hui, 4 octobre, j’ai 18 ans ! Or à partir d’aujourd’hui, je veux, chaque jour, noter les impressions et les petits incidents de la journée.
Ce jour du 4 octobre s’accorde en tout avec l’année de ma naissance. Il tombe un dimanche et en même temps fête de Notre Dame du Saint-Rosaire. J’ai commencé ma journée par une messe bien entendue et une fervente communion. Le matin, la 1re caresse reçue a été un baiser de ma bonne mère. J’ai passé une journée charmante en compagnie de personnes très aimables. Le soir quand je me suis couchée la seule chose que j’ai demandée au Seigneur a été de me laisser passer toute ma 18e année comme j’en avais passé le 1er jour.


5 octobre 1903

Aujourd’hui, j’ai eu le plaisir de recevoir une lettre de ma cousine Christine dans laquelle elle ne me donnait que de bonnes nouvelles. Mais, comme il n’y a pas de bonheur parfait en ce monde j’ai eu le chagrin de voir partir une de mes amies, Mlle Lagarde, qui était venue passer quelques jours chez mes parents.

6 octobre 1903

Ce que c’est que les choses de ce monde !… Cela marche comme les affaires de la ville. Hier, j’avais pris la résolution de faire travailler ma petite Claire tous les jours, sauf le jeudi, et dès le 1er jour, j’ai été la 1re à accorder la permission de l’après-midi. Voici en 2 mots comment la chose s’est passée. Depuis plus de 15 jours, mon amie intime, Mme Sales a sa cousine et son cousin Marme chez elle. Hier soir, M. Marme était venu nous faire ses adieux en nous disant qu’il partait le lendemain à 2 h. Le matin, dès mon lever, je me suis occupée de ma petite élève qui m’a satisfaite sur toute la ligne. Mais, l’après-midi, Henri et Jeanne Sales étant venus à la maison pour demander à mes parents l’autorisation de nous laisser descendre chez eux, avant que maman ait accordé la permission, j’avais déjà dit oui. Papa et maman ne s’y sont pas refusés et j’ai encore eu le plaisir de passer quelques heures charmantes. Je ne sais pourquoi, mais j’aime tout autant la compagnie de mon amie Mme Sales, que celles de jeunes filles de mon âge. Probablement, parce que nos cœurs savent se comprendre. D’ailleurs, elle est si gentille qu’on l’aime malgré soi. De retour à la maison, j’ai dit mon chapelet avec ma petite sœur et enfin j’ai terminé ma journée par la lecture d’un ouvrage de Raoul de Navery intitulé Le martyre d’un père. J’étais bien décidée à me coucher à 9 h. et cependant, il va être minuit et j’écris encore. Enfin, cela n’a pas d’importance. Je vais vite faire une fervente prière et me dépêcher à entrer dans mon petit dodo où j’espère faire de beaux rêves.

Que dire de ces premières lignes ? Henriette est une jeune fille du 19e siècle, confite en dévotion comme toutes les jeunes filles de son époque... Elle est sereine et satisfaite de son sort, entourée par une famille bienveillante.
Le roman que lit Henriette, écrit par Raoul de Navery en 1881 - pseudonyme d'Eugénie Caroline Saffray (1829-1885) - est empreint d'un catholicisme ardent. J'ai encore dans des recoins de la bibliothèque familiale des ouvrages de ce style, devenus illisibles aujourd'hui. 

A suivre...

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