5 novembre 1903
On est venus ce matin prendre ma chèvre Bichette. C’est
un peu de mon heureuse enfance qui s’en va !... Bichette m’avait été donnée
par ma cousine Mme Ponsonailhes, il y a dix ans de cela. Je la donne aujourd’hui
aux Boyer, des gens pour lesquels je n’ai aucune estime. Je garde pour moi sa
fille, ma gentille Follette.
19 novembre 1903
Du 5 à aujourd’hui, je suis restée à Lézignan chez Mme
Boyer. J’y ai langui comme une perdue.
20 novembre 1903
Journée charmante passée en famille. Bonnes nouvelles
de mon frère. Première expédition d’engrais.
21 novembre 1903
Grande étourdie que je suis ! J’ai laissé la
belle fête de la Présentation sans m’en apercevoir. Journée mémorable en ce
sens que, pour la première fois, j’ai été demandée en mariage, et refusée tout
naturellement. Est-ce qu’on va proposer des choses pareilles à une gosse ?
Moi qui ai le mariage en horreur, ce ne sera pas à mon âge, lorsque je commence
à peine à vivre, que j’irai m’enchaîner ? Fi donc !!... Pas de bêtises
pareilles d’au moins dix ans ! Mon premier prétendant se nomme Paul G. du
gentil village de B. C’est un ami de Louis. Il m’a vu deux fois et il est fou
de moi. Mais, il est donc en amadou ce monsieur pour prendre feu aussi
facilement ! Pauvre cher ! Il s’est bien fourvoyé ! Il croyait
faire la conquête de ce petit cœur qui ne bat pour personne, si ce n’est pour
son Dieu, sa famille et sa patrie !...
22 novembre 1903
Journée commencée par la sainte messe. L’après-midi,
course de vitesse avec mes sœurs et visite à la famille Sales.
23 novembre 1903
Journée triste. Pas de nouvelles de mon frère et de
mes amies. Inquiétudes sérieuses de tous côtés. Je remets tout entre les mains
de Dieu et de la Sainte Vierge.
24 novembre 1903
Encore rien reçu. Que font-ils tous ?
25 novembre 1903
Journée charmante passée avec Mme Sales.
26 novembre 1903
Enfin ! J’ai reçu une carte de Louis et de Geo. C’est
plus que je n’en désirais ! Gabriel a envoyé de très jolies cartes à mes sœurs,
et point à moi. Cela m’est parfaitement égal ! J’ai été à Montagnac avec
petite Mère payer les contributions. Le soir, papa m’a donné 10 francs à
partager avec mes sœurs. Quel bonheur ! Encore 20 sous à économiser et je
pourrai me payer mon abonnement à L’Ouvrier, ce qui est mon grand désir !
27 novembre 1903
J’ai passé mon après-midi chez Marie pour apprendre à
faire la dentelle Renaissance. Nous avons cueilli au château les premières
violettes de la saison. Je les ai toutes données à Maman, elle les aime
toutes !
28 novembre 1903
Même occupation. Ce genre de travail est très facile à
faire. Le soir, en arrivant à la maison, j’ai trouvé une très jolie carte de
mon frère. Nous étions tous plus qu’heureux, lorsqu’une idée originale est passée
dans la tête de ma pauvre mère. Elle nous a quittés à table et est allée se
coucher en nous demandant une tasse de café. Nous avons continué notre dîner
moitié riant, moitié pleurant. Je lui ai monté le café demandé, mais j’ai été
reçue comme un chien au milieu d’un jeu de quilles ! Quelle triste soirée !...
Il me tarde d’être à demain pour savoir si cela durera. Hélas ! Je ne le
crains que trop !
29 novembre 1903
Ce que je craignais s’est en partie réalisé. Le matin,
à mon lever j’ai voulu aller l’embrasser, elle m’a repoussée. Nous sommes allées
à la première messe dite par un vénérable prêtre nommé M. Paillasse. A la
sortie de la messe, j’ai rencontré mon frère. Après l’avoir embrassé et lui
avoir fait accepter la moitié de mon pain bénit, nous sommes montés à la
campagne. De toute la matinée, maman ne m’a pas adressé la parole. L’après-midi,
nous avons été à Lézignan. Nous y sommes retournées à 8 heures pour accompagner
mon frère. De la gare, nous avons été chez Maria, puis toutes en chœur nous
sommes descendues chez Mme Sales où nous avons passé une soirée charmante. J’ai
pris ma première leçon de valse avec M. Sales. Et en nous amusant, nous avons
fini par dérider maman. Une fois le premier pas fait, le reste a été facile. Je
vais me coucher le cœur léger, heureuse d’avoir vu mon frère, d’être réconciliée
avec maman et d’avoir passé une aussi bonne journée.
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