1er
janvier 1904
Quelle
triste journée ! Je n’ai pas reçu une seule carte ! Je
suis restée à la maison toute
seule,
toute la journée. Espérons que demain me sera plus favorable.
2
janvier 1904
Géo
a été le premier à m’offrir ses vœux de bonheur. Le soir, nous
avons eu la visite de Mme Sales et ses enfants et de Mme Marme. Mes
engelures me font souffrir comme une damnée. Mme Marme m’a
conseillé de prendre des fumigations de buis. Je vais essayer, pour
voir si je pourrai calmer mes souffrances.
3
janvier 1904
Le
remède est radical ! Je ne souffre plus ! J’ai pu aller
à la messe. Lorsque j’ai vu Mme Marme devant moi, cela m’a
rappelé de bien doux en même temps que de bien tristes souvenirs !
Je revoyais Géo, ainsi que mes chers cousins Dessalle. Je revoyais
Henri auprès de moi ! Hélas ! Je ne le verrai peut-être
plus !.... La famille L. [Lagarde] est venue nous voir. Gaby a
une tête de « bleu » réussie ! J’ai dîné chez
Maria puis nous sommes allées chez Mme Sales où nous nous sommes
amusées jusqu’à deux heures du matin. Il ne manquait que Géo.
Mais quoi qu’absent, il n’a pas été oublié. Et en chœur nous
lui avons envoyé une jolie carte postale. Et mes amies avaient leur
cavalier attitré. Il n’y avait que moi qui étais seule, toujours
seule !
4
janvier 1904
Le
berger m’a ramené ma petite Follette. Je l’ai embrassée avec
amour car c’est sur ma ménagerie que je rapporte la tendresse que
je ne donne pas à ma famille et à mes amis. J’ai passé mon
après-midi à faire de la musique avec mon frère chéri. A huit
heures, j’ai été l’accompagner à la gare. J’en suis remontée
toute triste d’avoir vu partir mon cher Louis.
5
janvier 1904
Toutes
mes amies de Lézignan sont venues me voir ; nous avons été
ensemble sur le causse visiter la grotte. Là, j’ai songé à mon
frère chéri, car lorsque je vins dans cette grotte, pour la
première fois, j’étais avec lui. Nous y avons tué un lièvre qui
y était prisonnier. J’avais huit ans. Que j’étais heureuse
alors ! Nous nous sommes arrêtées à l’usine pour voir faire
l’autopsie d’un cheval, ce qui m’a fort intéressée. Mes amies
sont reparties à six heures.
6
janvier 1904
J’ai
dessiné des pochettes fort jolies. Je suis contente de mon travail.
7
janvier 1904
Ma
petite élève travaille bien. Avant peu, elle saura aussi long que
moi.
8
janvier 1904
Rien
de nouveau sous le soleil.
9
janvier 1904
Encore
des nuages à l’horizon ! J’ai déversé une partie de mes
peines dans le cœur de Mme Sales. Mon cœur était si gros !
10
janvier 1904
J’ai
entendu la messe avec un redoublement de ferveur pour que le bon Dieu
ne nous abandonne pas. J’ai passé une matinée délicieuse dans le
bois en compagnie de ma chevrette. L’après-midi, promenade
sentimentale au pont de Merdary.
11
janvier 1904
Après-midi
passé au couvent. Je ne puis dire la joie, le bonheur intime que je
ressens lorsque je rentre dans ce cher asile de paix ! Qui sait
si un jour je n’y entrerai pas définitivement ? Bonnes mères,
comme je vous aime ! Mon frère chéri m’a écrit une très
jolie lettre.
12
janvier 1904
Rien
de nouveau.
13
janvier 1904
Louis
m’a envoyé une carte représentant un paysage ravissant. Il me dit
avoir reçu une jolie et surtout gentille carte d’Antonin C.
14
janvier 1904
Rien
d’important. Même vie calme et monotone toute remplie par le
travail.
20
janvier 1904
Journée
passée à Alignan à l’occasion de la fête de saint Sébastien.
Nous avons fait la procession autour du village et dans les rues
principales, avec la statue de saint Sébastien portée en triomphe
par quatre jeunes gens, le suisse et le curé en tête. Une belle
messe a été chantée par une trentaine d’hommes. Monsieur et
Madame Boyer se sont distingués par leur amabilité. Mon amie, Mme
Sales, qui se trouvait de la partie n’a pas peu contribué à
l’agrément de la journée. Parmi les invités, j’ai eu le
plaisir de retrouver une compagne du couvent. Nous nous sommes
remémoré ces agréables journées passées ensemble. Comme j’étais
heureuse alors !...
21
janvier 1904
Nous
ne sommes rentrées d’Alignan que ce matin. J’ai couché avec Mme
Sales. Pendant deux heures, nous avons parlé de Géo. Pendant mon
absence, Papa a donné mes tourterelles. Pauvres oiseaux ! Je
les aimais tant ! C’est Mimi [Marie Jonnet] qui me les avait
données, un jour où G. était ici. Ce jour-là, il avait été si
aimable pour moi qu’un moment, j’ai cru… hélas ! Aussi,
aujourd’hui que je sais pourquoi il n’a pas parlé, toutes mes
illusions sont finies. Il ne me reste plus de lui qu’un vague
souvenir que je finirai par chasser de ma pensée. J’en ai la
certitude. Que mes tourterelles emportent sur leurs ailes jusqu’à
la moindre trace de son souvenir. J’ai soif de vrai repos. Aussi,
si j’aime un jour, je ne veux le faire qu’à bon escient. O mon
Dieu ! Faites-moi la grâce de trouver cet être idéal, avec
qui je ne ferai qu’un corps et qu’une âme. Guidez-moi. Je
m’abandonne à vous !
23
janvier 1904
J’ai
commencé aujourd’hui un mouchoir tricolore. Je ne puis dire
l’émotion que je ressens en voyant ce petit drapeau aux couleurs
françaises brodées de mes mains ! Pauvre France ! Si tu
savais combien je t’aime ! Pour toi, je sacrifierai tout.
N’es-tu pas ma mère ? Oui, pauvre France !!.. Si tes
vaillants défenseurs de jadis sortaient de leur tombeau, que
penseraient-ils en te voyant si malheureuse ? Ils comprendraient
ce qui t’arrive. France, tu ne veux plus du Dieu de tes pères ?
C’est bien, souviens-toi que ce n’est que par lui et en lui que
tu seras heureuse. Toi que la Sainte Vierge aimait tant, tu la
renies ?... Reviens à Dieu si tu veux reconquérir ta gloire
perdue !
24
janvier 1904
Quelle
journée ! Grand Dieu ! Ce matin, j’avais entendu une
bonne messe ; j’étais heureuse ! Mais, l’après-midi,
la musique des vétérans est venue jouer à Lézignan. A cause de
Mme Pons, nous n’avons écouté qu’un seul morceau, moi qui aime
tant la musique, j’ai été obligée de m’en priver pour les
autres. A cause de Maria, je n’ai pu assister au chapelet. A cause
d’elle j’ai été grondée par Maman. Pourquoi ??... Je n’en
sais rien. Jamais plus de ma vie je ne veux être le jouet des
autres. Je veux agir à ma guise. Au moins, si je suis grondée, je
saurai pourquoi !
25
janvier 1904
Journée
splendide. M. Coste, régisseur du marquis de Graves, est venu
prendre 7500 kilos d’engrais. Il faudrait en expédier autant tous
les jours !
26
janvier 1904
Rien
de nouveau. Tous mes minets sont malades.
27
janvier 1904
Je
ne reçois plus rien de mes amies. Ce n’est pas bien gentil de leur
part.
Sur la photo : Gabriel Lagarde. Il y a dans les archives familiales un album de photographies provenant de la maison Arquinet. Mon père a eu la bonne idée de questionner sa mère, Henriette, sur les noms des personnes représentées... Voici donc Gaby !